«On peut tout vendre en faisant peur aux gens.» Une citation qui s’applique aussi bien aux religions (souvenez-vous du commerce des indulgences…) qu’aux entreprises pharmaceutiques, fabricants d’armes et producteurs de pétrole. Entre autres…
Il suffit de lire les titres de presse de ces derniers jours, en Suisse et ailleurs, pour avoir le moral dans les chaussettes et faire des réserves de papier toilette, de pâtes et de riz: «Ces 13 virus ont mis le monde en état d’alerte et les scientifiques craignent désormais le pire» Le risque d’une nouvelle pandémie est de 100% selon les virologues. «À la frontière russe, l’Estonie se prépare à la possibilité d’une guerre», «Un risque réel pour une 3ème guerre mondiale», etc.
Conséquences: C’est reparti pour une course aux armements digne de la guerre froide: «L’Europe doit se réarmer face à Poutine» clame l’historien Niall Ferguson. «Une guerre est possible», affirme Carl-Oskar Bohlin, ministre de la Défense civile suédoise, alors que l’amiral néerlandais Rob Bauer sonne à son tour l’alarme, évoquant une guerre probable ces prochaines années. Pour ne pas être en reste dans ce beau concert paranoïaque, l’association Jean Monnet affirme qu’alors qu’une guerre totale fait aujourd’hui rage en Ukraine, aux portes de l’Europe, la faiblesse intrinsèque de celle-ci est devenue, de façon enfin perceptible pour tous, «un péril mortel».
Ciel que la guerre est jolie!
Se joignant à ce concert de catastrophisme, la Commission européenne déplore que «depuis la fin de la guerre froide, les gouvernements européens ont désinvesti leur outil militaire», alors que la Direction générale de l'Industrie de la Défense et de l'Espace de France (très objective, évidemment… ) , observe que – ouf! – les récentes augmentations budgétaires des États membres surviennent après des années de coupes substantielles et de sous-investissements considérables.»
Et vogue la galère! Un jubilant Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN se dit heureux de constater que 23 des 32 membres de l’OTAN vont dépenser 2% ou plus de leur PIB pour leur défense et que, globalement, la hausse de ces dépenses atteindra 18% cette année, la plus forte augmentation depuis des décennies.
Bombardés d’informations alarmistes sur les intentions belliqueuses de M. Poutine, nous alimentons les algorithmes des réseaux sociaux qui nous dirigent alors vers des news encore plus folles, reprises par des media anxieux de ne pas rater un scoop. On a ainsi pu lire que M. Poutine aurait affirmé qu’une fois l’Ukraine vaincue, il s’attablera à la reconstruction de l’empire russe. Il aurait même laissé entendre que les pays Baltes serviront d’apéritif, et un de ses ministres aurait même évoqué que, pendant qu’on y est, on pourrait se aussi se faire la Finlande, la Moldavie et la Roumanie. En guise d’entrée. Je vous laisse deviner le plat principal…
Les sources de ces «informations»? Elles sont la plupart du temps aussi inconnues qu’invérifiables. Ou alors proviennent d’une «personnalité haut placée souhaitant garder l’anonymat», voire d’un officier supérieur dont personne n’a jamais entendu parler. Les informations vérifiées se trouvent ainsi noyées sous un flot de fake news, orchestré le plus souvent par les officines de propagande de divers États.
Les dindons de la farce
Pris de frénésie, les dirigeants européens, tels des poules auxquelles on aurait coupé la tête, se sont lancés dans une folle surenchère et c’est à qui claquera le plus d’argent (de ses contribuables) pour s’armer jusqu’aux dents. La Grande-Bretagne annonce une hausse de son budget militaire de 87 milliards d’euros ces prochaines années. Qui dit mieux? «Moi!» s’exclame le chancelier allemand Olaf Scholz qui annonce une enveloppe exceptionnelle de 100 milliards d’euros pour refinancer la Bundeswehr. Quant à la Suisse, sa ministre de la Défense et présidente de la Confédération aimerait bien qu'on lui accorde un modeste 10 milliards pour moderniser l'armée...
De tels exemples se sont multipliés ces derniers mois et selon le SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute) qui fait autorité en la matière, les dépenses militaires mondiales atteindront 2500 milliards de dollars cette année (+6,8%).
Nan Tian, chercheur principal du programme de dépenses militaires et de production d’armement du SIPRI s’inquiète à juste titre: «Les États donnent la priorité à la force militaire, ce qui risque d’alimenter la spirale “action-réaction” dans un contexte géopolitique et sécuritaire de plus en plus instable.»
2500 milliards, c’est quoi? C’est en gros, dix fois ce qu’ont coûté les 6 millions de véhicules qui circulent en Suisse ou encore, la valeur d’assurance du 1,8 million de bâtiments (800 millions de m2) que compte la Suisse. C’est également une somme qui correspond à quelque 300 francs par habitant d’une planète dont nombre peinent à gagner une telle somme en un an.
Que cela réjouisse les fabriquant d’armes du monde entier n’étonnera personne. Ce qui par contre peut surprendre, est que nous avons collectivement accepté d’être les dindons d’une farce habilement concoctée par des manipulateurs d’information, grassement payés. Et le pire, c’est qu’indirectement chacun d’entre nous, avec ses impôts, rémunère aussi bien ceux qui nous manipulent que ceux qui nous tondent. Et cela avec le sourire!
Certes, ce qui s’appelait autrefois «propagande» a revêtu de nouveaux habits, moins criards, et se nomme désormais «relations publiques» ou «influenceurs», mais l’objectif reste le même: nous faire dépenser de l’argent que nous n’avons pas pour des choses dont nous n’avons pas besoin.
A qui profite le crime?
La réponse est simple et les chiffres éloquents: il y a d’une part, les principaux fabricants et exportateurs d’armes que sont les États-Unis, la France, la Russie et la Chine qui, ensemble, représentent quelque trois quarts de la production mondiale. Précisons quand-même que sur les douze plus importantes sociétés du secteur dit de la défense au niveau mondial, six sont américaines, cinq chinoises, et une française (les estimations concernant la Russie étant peu fiables).
Depuis le début de la guerre en Ukraine, la valeur boursière des 10 principaux fabricants d’armes a augmenté de 38% en moyenne. De quoi réjouir aussi bien les États que les dirigeants de ces entreprises et leurs actionnaires.
D’autre part, on retrouve les principaux producteurs de pétrole et de gaz que sont les États-Unis, l’Arabie Saoudite et la Russie (40% de la production mondiale à eux trois), auxquels on peut rajouter la Chine (6ème producteur mondial) ainsi que les Émirats du Golfe, le Canada et l’Irak. Avec une demande mondiale de l’ordre de 103 millions de barils/jour et un prix de l’ordre de 75 francs/baril, on parle donc d’un chiffre d’affaires quotidien de 7.7 milliards de francs, soit 2800 milliards par an. Un chouïa de plus que les budgets d’armement mondiaux.
Pire que le bruits des bottes, le silence des pantoufles (Max Frisch)
Le bruit des bottes a donc un effet éminemment favorable à ces deux secteurs de l’économie, auxquels on peut rajouter les pharmas, qui remplissent leurs poches avec les craintes de pandémie. Car cette panique collective déploie aussi ses effets sur le cours du pétrole. Or, une hausse de 10 francs/baril, alors que les coûts d’extraction restent inchangés, signifie quelque 120 millions de francs de plus, chaque jour, dans les poches de la famille régnante d’Arabie et 20 millions de plus dans celles de nos chers amis du Qatar.
Ainsi, pour le seul 1er trimestre de cette année, Saudi Aramco a annoncé un bénéfice de 25 milliards de francs, ExxonMobil: 7,4 milliards, Shell: 7 milliards. Total: 5,2 milliards, Chevron: 5 milliards. Si les Etats-Unis sont – de loin – les principaux bénéficiaires de nos peurs, ils ne sont pas les seuls. Russie, Chine, Arabie, etc. sont aussi des grands gagnants, alors que nous sommes en gros, 8 milliards de perdants.
Le danger de guerre est-il réel? Je l’ignore, n’étant pas en mesure de vérifier les informations dont je suis gavé. Mais je me méfie… Quand tout le monde, ou presque, pointe dans la même direction et que de telles sommes sont en jeu, je ne peux que regretter le manque d’interrogations, de questionnement critique et de voix dissonantes. «Quand le sage pointe la lune, les idiots regardent le doigt.»
La rubrique "Vu ailleurs" fait découvrir d'autres articles ou documentaires de qualité sur Internet. Aujourd'hui, j'ai choisi de partager avec mes lecteurs cet article de Michael Wyler, collaborateur auprès de l'excellent Impertinent magazine qui nous offre ce texte.