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Julian, ni Assange ni Démon




Julian Assange n’est pas libre depuis trois jours que les médias et les réseaux sociaux pullulent de commentaires, d’hypothèses et de prédictions tous azimuts. Dans un supposé groupe Telegram à son nom, Julian Assange annoncerait déjà qu’il révélera bientôt "rien que la vérité, toute la vérité" et que les "vilains" peuvent trembler devant ce qui vient... En même temps, d'autres chroniqueurs cherchent à se rehausser par leur perspicacité, en le soupçonnant de jouer double jeux, jusqu'à remettre en cause la réalité de son emprisonnement !


Je suis interloquée par cette récupération immédiate des commentateurs et par la légèreté de leurs analyses sur le destin d’un homme, avant tout éprouvé. J’essaie tout simplement de me mettre à la place de Julian Assange après 14 ans de privation de liberté. La première chose qui compte, n’est-il pas de retrouver les petits bonheurs du quotidien, « une tartine au beurre et un immense besoin de nature et de paix » comme l’a évoqué sa femme à la télévision ? Après une telle épreuve, quoi de plus important que de renouer avec les gens que l'on aime, passer du temps avec nos enfants, vivre les retrouvailles avec nos proches autour d’un barbecue et d’un jeu de boules ? Julian Assange n'aurait-t-il vraiment pas mieux à faire que de partager des messages messianiques sur les réseaux sociaux et à remonter sur le ring, au risque d'en reprendre pour 20 ans? Je me méfie de la légitimité de ces canaux de communication, dont il serait à l'origine et pense plutôt que chacun cherche à faire son beurre sur la tartine de Julian.


Je me souviens combien mon père, après deux mois de détention comme otage d’un groupe de guérilleros colombien en 1984, ne souhaitait rien d’autre qu’un bon apéro sous le grand tilleul de famille et résoudre des mots croisés, allongé paisiblement sur sa Méridienne. Il ne fallait surtout pas lui parler de politique ou lui demander de témoigner de sa mésaventure. Pour lui, il était inutile de nourrir son traumatisme en le répétant comme un disque rayé.


Alors que j’étais déléguée du CICR en Iran, je me souviens aussi des premiers mots de cet ancien prisonnier de guerre iranien que nous avions accueilli à notre bureau après sa libération, un pilote de chasse abattu sur le front pendant le guerre Iran-Irak. Après 23 ans de détention et de torture, il m'avait dit: « Maintenant que j’ai pardonné à mes geôliers, je n’aspire qu’à la paix et à la douceur de vivre ».


Je prendrai donc avec des pincettes l’avalanche d’informations qui profite et surfe aujourd'hui sur cette nouvelle, que cela soit dans les médias mainstream ou dans les réseaux alternatifs. Je me demande d'ailleurs où étaient passés ces mêmes médias conventionnels quand il s'agissait de défendre la liberté d'expression et de questionner nos autorités sur le sort de l'activiste australien.

Au final, entre les partisans d’un sauveur qui va divulguer la Vérité la plus absolue et ceux qui soupçonnent Assange d’être un agent de l’Ombre, nous voilà repartis sur cette voie sans issue de la dualité perpétuelle.


Je préfère penser que Julian n'est ni Ange, ni Démon, mais que nous avons simplement à faire à un être humain qui sort de tôle et qui s’exprimera peut-être quand il aura repris goût à la vie avec un bon pinard, des câlins et des tartines au beurre.

Isabelle A. Bourgeois


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