top of page

Fin du transatlantisme : l’Europe dans tous ses états

Article de Matthias Faeh, chroniqueur pour Essentiel News & Planète Vagabonde


Trois ans après le début du conflit russo-ukrainien, la donne géopolitique bascule. L’arrêt de l’aide militaire américaine, acté le 4 mars 2025, marque un tournant: Washington, sous l’impulsion de Donald Trump, privilégie désormais une sortie rapide du conflit, quitte à sacrifier les ambitions territoriales de Kiev. Dans ce contexte, l’Europe est sommée de redéfinir sa stratégie face à une Russie en position de force, une Ukraine au bord de la rupture et des divisions internes qui menacent sa cohésion.

Bref récapitulatif des deux dernières semaines. La rencontre du 28 février entre Volodymyr Zelensky et Donald Trump à la Maison-Blanche a scellé la rupture. L’échange, qualifié de «regrettable» par le président ukrainien, a débouché sur une suspension immédiate de l’aide militaire américaine. Washington exige désormais un cessez-le-feu sans concessions territoriales, contraignant Kiev à négocier sous la pression.


Le 2 mars, un sommet organisé à Londres par Keir Starmer a tenté de coordonner une réponse européenne, proposant une «coalition des volontaires» pour compenser le retrait américain. La France et le Royaume-Uni ont suggéré une trêve partielle d’un mois, tandis que l’UE a dévoilé un plan de 800 milliards d’euros pour réarmer l’Europe. Pourtant, malgré ces annonces, les divergences persistent.

Les États-Unis acceptent l’inéluctable défaite sur le terrainL’administration Trump ose une assertion audacieuse. «Cette guerre ne peut pas durer indéfiniment», a déclaré le vice-président JD Vance, résumant une stratégie axée sur la fin des hostilités, même au prix d’un gel du conflit. Les livraisons d’armes sont suspendues et Washington conditionne toute reprise de l’aide à la signature d’un accord sur l’exploitation des ressources ukrainiennes par des entreprises américaines en remboursement des fonds déjà engagés.

Cette approche, décryptée par le Chatham House, s’inscrit dans une logique de « paix par la force »: en privant Kiev de soutien, les États-Unis entendent forcer Zelensky à la table des négociations. Une logique corroborée par les déclarations de John Kelley, représentant américain à l’ONU, pour qui «le retour aux frontières d’avant 2014 est un objectif irréaliste ».

La Russie négocie par besoin de sortir de l’isolementMoscou jubile, mais cherche une issue. Si le Kremlin exige toujours un Etat ukrainien neutre et démilitarisé, il multiplie les signaux en direction de l’Europe. La réintégration des pays baltes au réseau électrique européen, couplée à des offres énergétiques à la Hongrie et à la Slovaquie, révèle une stratégie de désenclavement.

Cependant, la Russie paie le prix de son isolement. Le rapport du Foreign Policy Research Institute souligne que son économie de guerre, bien que résiliente, dépend d’un «shadow fleet» maritime vulnérable aux sanctions. La visite de Viktor Orban à Ankara fin février, pour sécuriser les flux gaziers via la Turquie, illustre la fragilité de cette coopération russo-magyare.

Zelensky prend conscience de sa défaite imminente Acculé et contre toute attente, le président ukrainien ajuste son discours. Le 4 mars, il a annoncé être prêt à travailler sous le leadership de Trump, tout en proposant une trêve aérienne et maritime. Une volte-face stratégique, analysée par Le Grand Continent comme un aveu d’impuissance : sans les missiles américains, Kiev perd 80 % de sa capacité de défense aérienne.

Ses appels à l’UE pour remplacer l’aide américaine butent sur une réalité: Bruxelles, malgré ses 134 milliards d’euros d’aide totale, ne dispose pas des satellites de renseignement ni des systèmes de communication critiques et encore moins des missiles et autres munitions en masse fournis par Washington.

Le bellicisme de la France et de l’Angleterre Paris et Londres défendent une ligne guerrière, mais leurs motivations divergent. Emmanuel Macron, promoteur d’une « paix par la force », insiste sur une trêve conditionnelle, tandis que Keir Starmer mise sur une «coalition des volontaires» incluant des troupes au sol.


Derrière ces postures, des intérêts économiques transparaissent. Le Royaume-Uni capitalise sur son isolation post-Brexit : la réunion de Londres a marginalisé l’Allemagne, jugée trop prudente, et positionné la City en gestionnaire des 300 milliards d’actifs russes bloqués en Europe. Mais cette stratégie comporte des risques : dépendance aux fonds américains (40 % des prêts transitent par Wall Street), endettement public accru (105 % du PIB), et perte de crédibilité internationale. Un pari audacieux, où Londres mise sur l’Ukraine pour s’imposer comme gardienne d’une Europe… qu’elle a décidé de quitter.

Emmanuel Macron adopte une position qui semble s'aligner sur celle du Royaume-Uni, souvent au détriment des intérêts français, ce qui suscite des interrogations quant à ses motivations. Son passé en tant que banquier chez Rothschild, où il a noué des relations étroites avec la finance londonienne, renforce l'idée qu'il privilégie des alliances qui pourraient favoriser les intérêts britanniques. Cette proximité avec le monde de la finance anglo-saxonne soulève des doutes sur sa capacité à défendre les intérêts économiques et stratégiques de la France, notamment dans des domaines cruciaux tels que la régulation financière et la souveraineté économique.


L’approche antirusse de la Pologne et des États baltes Varsovie et les capitales baltes sonnent l’alarme. Leur proposition de construire une ligne de défense à 8-10 milliards d’euros le long des frontières russes et biélorusses traduit une paranoïa sécuritaire nourrie par l’histoire. La Pologne, en première ligne, a déjà augmenté ses dépenses militaires à 4 % de son PIB, dépassant les exigences de l’OTAN.

Cette surenchère, encouragée sous la présidence Biden, risque de fragiliser l’UE. Comme le note l’Institut français des relations internationales, «la priorité absolue donnée à la menace russe occulte les vulnérabilités internes», notamment les tensions sociales en Lettonie face à la minorité russophone.


La Hongrie et la Slovaquie appellent à la fin de la guerre Budapest et Bratislava incarnent le camp de la paix. Viktor Orban, après avoir obtenu des exemptions aux sanctions sur le gaz russe, milite pour une levée générale des restrictions. Robert Fico, quant à lui, menace de couper l’électricité fournie à l’Ukraine, tout en bloquant son adhésion à l’UE.

Leur realpolitik, bien qu’impopulaire à l’Ouest, s’appuie sur une réalité énergétique : 40 % du gaz hongrois et 70 % du pétrole slovaque proviennent encore de Russie. Une dépendance que le plan REPowerEU ne résoudra pas avant 2027 au plus tôt.

L’Allemagne divisée entre impératifs industriels et contradictions politiques

La position allemande incarne les fractures d’une Europe tiraillée entre principes moraux et réalités économiques. Dirigée par une coalition SPD-Verts fragilisée, l’Allemagne a promis 20 milliards d’euros d’aide militaire supplémentaire à Kiev en 2025, selon les déclarations d’Olaf Scholz lors du sommet de Londres. Mais cette posture se heurte à un mur: l’industrie, asphyxiée par des coûts énergétiques supérieurs de 40 % à ceux des États-Unis, réclame un retour au gaz russe.


Malgré les sanctions, 35 % des importations allemandes de gaz transitent encore par l’Ukraine via le TurkStream, selon la BNP Paribas Economic Research. La réouverture complète du gazoduc ukrainien, évoquée dans les négociations de cessez-le-feu, pourrait réduire les prix du gaz de 20 à 25 %, une bouffée d’oxygène pour des secteurs comme la chimie ou la sidérurgie, dont la production a chuté de 15 % depuis 2022.

Le plan de réarmement initié par Scholz avec un fonds spécial de 100 milliards d’euros en 2022 arrive à épuisement. Les livraisons de F-35 et de systèmes Patriot ont englouti 60 % du budget, laissant la Bundeswehr avec un déficit de 30 milliards d’euros annuels pour atteindre les 2 % du PIB exigés par l’OTAN. Friedrich Merz, futur chancelier pressenti, propose un fonds souverain de 500 milliards, tout en assouplissant la Schuldenbremse (règle d’or budgétaire) pour exonérer les dépenses de défense. Un projet qui bute sur l’opposition de l’AfD et de Die Linke.

Scholz, dans sa dernière intervention publique le 5 mars, a martelé: «Nous ne pouvons pas abandonner l’Ukraine sans trahir nos valeurs». Pourtant, son propre parti, le SPD, bloque le paquet d’aide de 3 milliards d’euros proposé par les Verts, exigeant un financement par l’emprunt. Merz, en contrepartie de son soutien à Scholz sur le fonds souverain, exige un vote rapide de ce paquet avant la dissolution du Bundestag.

L’Europe, prisonnière de son moralisme

L’Europe s’est construite sur une vision légaliste du monde, où le droit international et les valeurs démocratiques sont érigés en principes universels. Cette posture, qui se veut garante de la paix et de la justice, empêche pourtant tout dialogue constructif avec la Russie. En jugeant Moscou à travers un prisme normatif rigide, elle ne cherche pas tant à comprendre ses motivations qu’à la condamner pour non-conformité aux standards occidentaux. Cette approche binaire – bien contre mal – réduit les relations internationales à une lutte idéologique, où la négociation devient impossible.

Mais derrière ce moralisme affiché se cache une application sélective des principes qu’elle défend. Tandis que la Russie est systématiquement accusée de violations du droit international, l’Europe ferme les yeux sur les siennes et celles de ses alliés, notamment les États-Unis. Cette posture sert en réalité des intérêts stratégiques: justifier son alignement sur l’OTAN, renforcer son influence à l’Est et consolider une identité politique fondée sur l’opposition à Moscou. Toute tentative de dialogue risquerait de fissurer cette construction.

Ainsi, loin d’être un moteur de paix, le moralisme européen alimente la confrontation. Plutôt que d’adopter une approche pragmatique, il enferme l’Europe dans une spirale d’exclusion, rendant toute réconciliation avec la Russie de plus en plus illusoire.


L’UE tente d’imposer son armée commune ? Face au désengagement progressif des États-Unis en Ukraine – matérialisé par la suspension de l’aide militaire en mars 2025 –, l’Union européenne saisit l’occasion pour accélérer son projet d’armée intégrée, présenté comme une réponse à l’«abandon atlantiste». Le Strategic Compass, révisé en urgence après le sommet de Versailles en février 2025, insiste sur la nécessité de combler «le vide laissé par Washington» via une mutualisation rapide des capacités militaires. Bruxelles exploite ce contexte pour forcer la main aux États membres récalcitrants : le mécanisme de coopération structurée permanente (PESCO) est désormais conditionné à un alignement des budgets de défense sur les critères de l’UE (2 % du PIB), sous peine de sanctions financières.

Cette stratégie, théorisée dans un rapport du European Council on Foreign Relations comme une «fenêtre de tir historique», se heurte pourtant aux réalités politiques. La Hongrie, opposée à toute ingérence dans sa souveraineté, a rejeté en bloc le projet de taxe européenne sur les exportations d’armes, destiné à financer la Rapid Deployment Capacity. Les pays neutres, comme l’Irlande, dénoncent une militarisation forcée de l’UE, tandis que la Pologne exige des garanties écrites contre un futur transfert de compétences à Bruxelles.

Les critiques soulignent le paradoxe d’une intégration présentée comme volontaire… mais pilotée par des mécanismes contraignants. Le Bruegel Institute relève que 55 % des fonds du plan de défense européen (800 milliards d’euros) sont déjà conditionnés à l’achat d’équipements standardisés, limitant la marge de manœuvre des industries nationales. La France, bien que promotrice du projet, rechigne à partager le contrôle de sa dissuasion nucléaire, révélant les limites d’une souveraineté continentale à géométrie variable.

En capitalisant sur le retrait américain, l’UE tente de transformer une chance de paix en une opportunité d'augmenter son pouvoir sur les nations membres. Reste à savoir si cette realpolitik, qui substitue à l’allié d’outre-Atlantique une bureaucratie bruxelloise peu légitime, parviendra à concilier urgence sécuritaire et respect des souverainetés nationales – ou si elle précipitera l’éclatement d’une Europe plus divisée et moribonde que jamais.


Pour une stratégie souveraine : cinq chantiers vitaux pour l’Europe

L’Europe est à la croisée des chemins. Trois ans après l’invasion de l’Ukraine, le constat du Chatham House est implacable : l’Union reste un nain géopolitique, prisonnier de ses dépendances, de ses contradictions et de ses représentants pétris d’orgueil et d’incompétence. Face à l’effritement de l’ordre atlantique et à la montée des tensions sino-américaines, Bruxelles doit urgemment opérer un aggiornamento stratégique. Mais plutôt que de s’enfoncer encore plus dans le marasme économique et la confrontation stérile, voici une liste de cinq domaines clés qui permettent d’imaginer un futur économique basé sur la coopération pacifique :


1. Rapports avec la Russie : ni angélisme ni provocation

  • Cessez-le-feu immédiat

  • Zone tampon sous supervision internationale en Ukraine

  • Levée des sanctions en échange d’un retour aux accords gaziers

  • Exclusion de l’OTAN pour l’Ukraine


2. Partenariats : rompre la dépendance

  • Énergie : Réparation et réouverture de Nordstream

  • Minerais : Coopération UE-Canada-Australie sur le lithium (30 % du marché)

  • Diplomatie : Approfondir la coopération avec les BRICS


3. Autonomie technologique : urgence vitale

  • Airbus des semi-conducteurs (ASML + STMicroelectronics)

  • Nationalisation des infrastructures critiques

  • Budget R&D (Recherche et Développement) porté à 4 % du PIB (contre 3,2 % aujourd’hui)


4. OTAN : sortie par étape

  • Référendum paneuropéen sur la sortie

  • Transition de 5 ans pour rapatrier les bases US (Ramstein, Aviano)

  • Alliance européenne de défense (AED)


5. Démocratie stratégique : les citoyens aux commandes

  • Service civique européen avec formation géopolitique

  • Transmissions en direct des réunions au Parlement

  • Referendum citoyen dans chaque pays

Les dirigeants européens, englués dans des postures morales ou clientélistes, doivent sans attendre reprendre contact avec la réalité : celle d’un monde multipolaire où la souveraineté se conquiert par la coopération et l’innovation, non par la sujétion à Washington ou le déni des rapports de force. Et le pouvoir de changer ce paradigme revient au peuple, en commençant par l’individu.

Comments


bottom of page