Une vaillante amie de 76 ans vient de vivre une drôle d'aventure qui aurait pu mal tourner. Grâce à sa présence d'esprit et à son voisin, les deux malfrats ont fini dans le panier à salade de la police vaudoise. Et en bonus, Alice s'en tire avec une belle leçon sur la non-dualité qu'elle a souhaité partager ici.
Alice est une femme d'expérience, perspicace et intelligente. De plus, elle est au courant des nombreuses arnaques opérées dans sa région, le canton de Vaud, en particulier sur les personnes âgées. Et pourtant...
Il y a quelques jours, elle reçoit en fin d'après-midi un appel sur son téléphone fixe, indiquant un numéro masqué. "Bonjour Madame, je suis policier et je dois vous informer que nous avons intercepté deux adolescents qui ont volé vos cartes bancaires." - Mais Monsieur, ce n'est pas vrai, j'ai mes cartes sous les yeux! lui répond-elle, après avoir déposé ses cartes sur la table. Vous n'êtes pas de la police! Jusque-là, Alice était parfaite. Or, c'était sans compter l'effet de surprise, la stratégie du "choc" et la danse malicieuse des petits personnages en soi qui nous joue des tours... "Bien sûr que nous sommes sérieux, chère Madame. Vous avez peut-être vos cartes, mais ces jeunes ont néanmoins récupéré vos numéros de comptes bancaires en prélevant vos empruntes et ils risquent à tout moment de les vider. D'ailleurs, nous sommes déjà en ligne avec votre banque, la BCV, afin de protéger votre compte rapidement" - Je ne suis même pas à la BCV! Que me racontez-vous !?
"Ah oui, vous êtes à la Raiffeisen... Vos agents vous informent que vous devez changer immédiatement vos codes et n'en définir qu'un seul pour tous vos comptes. Pour cela, vous devez vous rendre à notre poste de police, mais comme vous n'arriverez pas avant sa fermeture, nous vous envoyons un collègue sur le champ pour faire les formalités."
Quelques minutes plus tard, un jeune homme se présente devant la porte d'Alice qui lui demande, méfiante: -Vous ne portez pas d'uniforme? "Non, je suis un agent en civil", répond-il.
-A bon? Et où avez-vous fait votre école de gendarmerie?
"Je ne sais plus", lance le jeune homme, légèrement embarrassé. Trop généreuse, comme à son habitude, Alice l'invite à entrer. Elle est parfaitement consciente qu'on lui raconte des histoires, et pourtant, elle dira plus tard qu'elle laissera se dérouler la scène jusqu'au bout. "C'est étrange, je savais que tout était bidon. Mais en face de moi, se tenait ce jeune homme, que j'ai senti vulnérable, et une partie de moi ne pouvait pas le voir malhonnête. Je l'ai laissé faire."
Le jeune homme n'est pas menaçant et, dans un léger accent, insiste poliment pour qu'Alice lui donne les codes de ses cartes bancaires. Devant sa résistance, il commence à s'impatienter et à trahir des signes de nervosité. De plus en plus déstabilisée, Alice décide d'appeler son voisin pour l'aider à y voir clair. Mais à l'arrivée de Steve, le jeune homme cherche à prendre la fuite. Alors le courageux voisin se jette sur lui et tente de l'immobiliser. En même temps, Alice appelle le 117. Les deux hommes vont se débattre pendant de longues minutes. Le jeune malfrat ne cherche pas à contre-attaquer, juste à se dégager de Steve, en criant "Je n'ai rien fait, je n'ai rien fait!" - Vous êtes juste un voleur, Monsieur, lui lance Alice, cette fois, bien lucide.
Au téléphone, les vrais policiers qui n'ont pas encore mesuré la gravité de l'incident, lui demandent placidement et lentement d'épeler le nom de sa rue, tandis que les deux hommes en sont toujours aux mains et se courent après dans la cage d'escalier. Alice est affolée et tente, tant bien que mal, d'articuler le nom de la rue. Un peu plus tard, les policiers arrivent et interceptent d'abord le complice du jeune voleur qui l'attendait au coin de la rue, puis menottent le second malfrat, confié aux policiers par l'héroïque voisin. "Steve a été fantastique! Il m'a vraiment impressionné! Heureusement que nous avons encore des individus courageux comme lui! Les policiers étaient contents, parce qu'ils sont débordés par les plaintes à l'arnaque avec le même mode opératoire, sur des personnes âgées. Il m'ont dit que c'était infernal en ce moment !", raconte Alice, assez fière d'avoir finalement réussi à maîtriser la situation avec son voisin. Juste après cette mésaventure, elle n'a cessé de se demander pourquoi elle avait laissé le scénario se dérouler aussi longtemps, sans raccrocher le téléphone avec le premier "policier" ou claquer la porte au nez du "collègue"... "Comment ai-je pu les laisser faire, alors que j'avais compris dès le début que tout était faux..." Un vrai mystère!
Quand la non-dualité s'en mêle
C'est un séminaire de deux jours sur la non-dualité ce week-end avec José Le Roy, professeur de philosophie et écrivain qui répondra à ses interrogations. Elle a pu partager sa mésaventure avec les participants dans l'espoir d'apprendre à la sublimer à la lumière de cet enseignement. J'ai réalisé que ce sont plusieurs personnages en moi qui ont pris le dessus dans cette affaire. Je n'ai pas réussi à voir de méchant. J'avais pitié de ce jeune homme. C'était le petit personnage en moi, naïf ou idéaliste, qui a pris le dessus." D'autre part, il est possible que, prise au dépourvu, un autre personnage l'ai attrapée par la sidération. Ou peut-être encore le personnage du sauveur, celui qui veut donner une nouvelle chance à celui qui a mal tourné après un départ malheureux dans son existence?
Alice, par son récit, souhaite partager un message important: être au courant des arnaques ne suffit pas. Le seul moyen de prévenir ce risque est de bien se connaître et de démasquer tous les personnages en soi, afin qu'ils ne puissent plus nous raconter des histoires. Elle explique combien l'enseignement du week-end sur "La "vision sans tête" de Douglas Harding l'a aidée à reconnaître plusieurs acteurs en elle pour apprendre à ne plus subir leurs jeux de rôle...pas drôles.
La "vision sans tête" invite chacun à reconsidérer la perception qu'il a de lui-même. Douglas Harding part d’une observation simple : si vous regardez votre propre corps, vous voyez des bras, des jambes, un torse... Mais si vous essayez de regarder votre propre tête, vous réalisez qu’elle est absente de votre champ visuel. Ce que vous percevez à la place, c’est le monde qui vous entoure : les objets, les couleurs, les sons, et même les autres personnes. Selon Harding, cela révèle une vérité fondamentale : nous sommes davantage un espace ouvert accueillant le monde qu’un "moi" limité enfermé dans un corps.
Une expérience pratique
Pour comprendre ce concept, Harding propose un exercice simple : pointez votre doigt vers ce que vous voyez, par exemple un arbre ou une personne. Ensuite, tournez votre doigt vers vous-même, vers l’endroit où vous supposez que se trouve votre visage. Que voyez-vous ? Rien. Ce "rien" est, selon lui, l'espace de la conscience pure où tout apparaît.
La "vision sans tête" n'est pas un concept intellectuel complexe, mais une pratique immédiate qui invite à expérimenter directement une absence d’ego, de croyances ou d'idéologies pour élargir la perspective que nous avons sur nous-mêmes. Pour Harding, cette expérience permet de se libérer des préoccupations liées à une identité rigide et de retrouver une forme d’ouverture et de présence au monde.
En résumé, la "vision sans tête" est une invitation à voir le monde sans les filtres de nos constructions mentales, sans être tiré par les ficelles de nos personnages inconscients, en adoptant un regard direct, simple et libéré sur ce que nous sommes réellement. Si Alice avait mis en pratique cette vision qu'elle vient d'apprendre, moins de personnages en elle lui auraient tiré le tapis sous les pieds. En n'étant pas sous leur influence, elle aurait tenu compte plus rapidement de sa voie intérieure. Et finalement, elle aurait coupé dès le départ toute possibilité que quelqu'un rentre chez elle.
Il reste néanmoins qu'un petit maître de sagesse s'est aussi exprimé en Alice, puisqu'il a conduit à l'arrestation des voleurs, sans aucun dommage pour elle. Au final, deux "vilains" ont été arrêtés et plusieurs baratineurs, tapis dans sa conscience, ont été démasqués. Voilà une bien belle prise! Merci Alice et bravo!
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